La féminité selon Georges Rouault - La Gazette Drouot

Georges ROUAULT 1871-1958
Georges ROUAULT 1871-1958
AGLAË, vers 1940

Elles se nomment Aglaé et Anouchka. Elles appartiennent aux nombreux portraits féminins que Georges Rouault réalisa, des prostituées des premières années, qu’il invitait à se réchauffer dans son atelier, aux modèles aux beaux noms de baptême de la fin de sa carrière.

La première nommée est ainsi rattachée à ses œuvres de maturité, celles des années 1940. Bien que l’artiste l’ait peinte durant la guerre, en période d’exil forcé – les Rouault ont abandonné l’atelier parisien de la rue Martignac pour se réfugier dans la maison de campagne de Beaumont-sur-Sarthe, puis à Golfe-Juan en juin 1940, il poursuit une création débutée une décennie auparavant, celle d’une plus grande sécurité financière et d’une vie plus sereine. Les couleurs s’épanouissent dans chacune de ses compositions, volontiers plus décoratives. Natures mortes, paysages, scènes religieuses ou nus : la beauté est désormais glorifiée, de même que la féminité. Dans ses portraits, Rouault nous livre des lignes adoucies, des visages tendres et une luminosité vibrante. Si les larges contours noirs – souvenirs des années fauves – sont encore présents, ils n’obscurcissent plus ces compositions dans lesquelles la superposition des couleurs crée les modelés et la profondeur. Installant sa toile non pas sur un chevalet, mais à plat sur une table, il travaille plus que jamais la matière dans son épaisseur et son expressivité. L’huile est alors également privilégiée par Rouault, technique plus propice à l’éclaircissement de sa palette, comme en témoigne ici la belle harmonie de bleus, contrastant avec le rouge d’une fleur portée nonchalamment à l’oreille et le jaune du vêtement. Selon les descendants du peintre, ce tableau fait partie d’un ensemble réalisé pour des tapisseries produites à Aubusson, même si aucune trace d’une création lissière d’après cette peinture n’est connue. Datée vers 1940, reproduite dans le catalogue Rouault, l’œuvre peint (vol. 3, n° OP2742), Aglaé a été exposée durant plus de cinquante années – de « Georges Rouault visionnaire » en 1971 à la galerie Beyeler de Bâle, à « Georges Rouault, peintre de l’esprit » à la villa Théo, au Lavandou, en 2023. Elle était conservée jusqu’à ce jour dans la collection de la famille de l’artiste, de même que les deux autres portraits féminins qui l’accompagneront à Cannes.

Également référencée, Anouchka, une encre et pastel sur papier marouflé sur toile (50 x 32 cm), pourrait être datée vers 1929-1930 avec ses lignes noires encore marquées ; annoncée à 50 000/80 000 €, elle possède un étonnant cadre peint par l’artiste. Avec la Fille au grand chapeau (35 x 25 cm) – une gouache sur fond de gravure prisée 30 000/40 000 € et ayant fait l’affiche de l’exposition « Rouault au pays du père Ubu » au musée de l’Annonciade à Saint-Tropez en 2023 –, on remonte encore quelques années auparavant. Elle était en effet destinée à la nouvelle édition des Réincarnations du Père Ubu d’Alfred Jarry, commandée et éditée par Ambroise Vollard. Si l’ouvrage a paru en 1932, Rouault y travailla dès 1916. Il consacra de nombreuses années à ce travail sur la gravure, créant des figures monumentales aux formes structurées et simplifiées, au dessin architecturé et puissant : des femmes hiératiques, à la fois modernes et inspirées de l’art sacré…

Caroline LEGRAND

Mardi 15 août, Cannes - Cannes Besch Auction OVV.

LA GAZETTE DROUOT N° 29 DU 21 JUILLET 2023, pages 32-33

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