Lot n° 123


Lucien LEVY-DHURMER 1865-1953

ÈVE ET LE SERPENT


Pastel sur papier marouflé sur carton signé en bas à gauche
97,5 x 43,5 cm (feuille à vue, cintrée en partie haute)
121 x 70 cm (encadré sous verre)

Provenance :
Collection particulière, France

Expert : Expertises Tellier, Paris / Marc-Henri TELLIER, membre de la CEFA
Cette œuvre sera incluse au Catalogue Raisonné de l’œuvre de Lucien LEVY-DHURMER actuellement en préparation par Marc-Henri TELLIER. Un certificat d’authenticité sera délivré à l'acquéreur.

Condition de report définitif après dernier examen de M. Tellier, expert de l’œuvre :
M. Tellier confirme que le pastel est en très bon état. Il note la présence de trois légères lignes verticales brunâtres au niveau de la chevelure. Selon M. Tellier, d’après une restauratrice d’œuvres sur papier, il s’agirait de trois petits plis parallèles qui auraient été provoqués par un léger écrasement du papier.

A ce jour, nous avons répertorié neuf œuvres de Lévy-Dhurmer, incluant celle que nous avons le plaisir de vous présenter, ayant pour thème Ève et le serpent.
La première est intitulée Ève aux cheveux d’or. Il s’agit d’un pastel et gouache avec rehauts dorés sur papier marouflé sur toile, mesurant 49 x 46 cm. D’après les notes de l’artiste, sa première propriétaire est Mme Th. Singer. Ève est représentée avec le visage de profil et en buste. Elle porte les cheveux longs et a les bras croisés sur sa poitrine. Ève est tentée par le serpent, lové dans un pommier qui constitue comme un rideau de branches, de feuilles et de fruits. Cette œuvre, exposée à la galerie Georges Petit à Paris du 15 janvier au 15 février 1896, sous le n° 14, apporte le succès immédiat à l’artiste. Elle figure dans l’exposition Autour de Lévy-Dhurmer - Visionnaires et Intimistes en 1900 qui se tient au Grand Palais du 3 mars au 30 avril 1973. Elle est reproduite dans le catalogue, page 47, sous le n° 64.
La deuxième version est une huile exposée au Salon des Artistes Français de 1897 (n° 1048) sous le titre Au Paradis (dimensions inconnues). Notre pastel est à rapprocher de ce tableau où Ève est représentée nue et en pied (illustration dans le catalogue du Salon). La seule variante notable se situe au niveau de la chevelure d’Ève qui est plus courte dans le tableau que dans notre pastel.
La troisième œuvre est un triptyque intitulé L’Eden ou Adam et Ève au Paradis exécuté en 1899, composé de trois huiles sur toile, et qui obtient un grand succès au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts cette année-là (n° 946). Selon les notes de Lévy-Dhurmer, il appartient à Mme Renée Vivien (1877-1909), une poétesse britannique de langue française. La partie gauche de ce triptyque intitulée Emoi est aussi très proche de notre pastel. La partie centrale, titrée Passion, est une huile sur toile de 206 x 240 cm, passée en vente chez Christie’s à New York le 19 avril 2006, lot 120. La partie droite est intitulée Regrets. Nous connaissons une huile sur toile de cette partie du triptyque, mesurant 43 x 22,5 cm, exposée en 2017 à la fondation Pierre Arnaud de Lens (Suisse) et appartenant à une collection particulière européenne. Cela en fait la quatrième version de ce thème d’Ève.

Dans une lettre de la galerie Goupil & Cie à Lévy-Dhurmer, datée du 22 novembre 1899, il est écrit que « un de ses clients d’Allemagne aimerait pouvoir reproduire son tableau L’Eden sur porcelaine. Il souhaiterait des droits exclusifs et le prêt du tableau ». La lettre est accompagnée d’une photographie de L’Eden : Emoi, Passion, Regrets.
Le ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts passe commande auprès de l’artiste le 11 mars 1902 (lettre figurant dans les archives Zagorowski de la bibliothèque du Musée d’Orsay), pour la Manufacture nationale des Gobelins, d’un carton de tapisserie et fixe le prix à 6 000 F. Il s’agit de la cinquième œuvre intitulée Première floraison qui est datée de 1903. C’est une immense toile mesurant 318 x 410 cm, représentant Ève tentée par le serpent dans un luxuriant jardin, et qui a été exposée au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts en 1903, sous le n° 159 (catégorie objets d’art). Elle est actuellement conservée par le Centre national des arts plastiques (CNAP) à Paris (Inv. FNAC 1664, FNAC 7901). Quant à la tapisserie par les Gobelins, elle n’a jamais été tissée, ce qui nous a été confirmé par M. Nicolas Mellot, archiviste au Mobilier national / Manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie, que nous remercions.
La sixième version que nous avons recensée est une huile sur toile, mesurant 45,5 x 22,5 cm, datée de 1914, qui est passée en vente chez Pierre Bergé & Associés le 23 octobre 2019, lot 17.
Nous avons répertorié trois autres œuvres, celles-ci étant non datées.
D’abord, la septième, est un émail sur panneau (18 x 17 cm) vendu par la maison de ventes Baron-Ribeyre à Paris le 24 juin 1994, lot 278, et qui fut réalisé par Lévy-Dhurmer et l’émailleur Lucien Hirtz (1864-1928). Ève est représentée avec le visage de profil et en buste ; elle porte les cheveux longs et a les bras croisés sur sa poitrine, comme dans la première œuvre de 1896.
Puis, la huitième version est une aquarelle et gouache, présentée en vente chez Dobiaschofsky à Berne (Suisse) le 8 novembre 2024, lot 23. La composition est très proche de l’œuvre précédente.
Enfin, notre pastel qui est la neuvième œuvre connue à ce jour sur le thème d’Ève. C’est un personnage de la Genèse qui est le premier livre de la Bible. Ève est la première femme, la mère de l’humanité. En toute innocence, elle vit au Paradis avec Adam. Le serpent apparaît et incite Ève à manger le fruit défendu de l’arbre de la connaissance. Elle en donne à Adam qui en mange à son tour. Ainsi, Ève commet le premier péché, celui de désobéir à Dieu qui les chasse du jardin d’Eden pour les empêcher d’accéder à l’arbre de vie qui les rendrait immortels. Cette désobéissance originelle est ensuite transmise à toute l’humanité, d’où le concept de péché originel.
Dans un format en hauteur, Lévy-Dhurmer représente Ève au centre de sa composition. Elle est nue et debout, respectant ainsi la tradition illustrative depuis la Renaissance. Le visage de profil, elle porte une longue chevelure brune et a les bras croisés sur sa poitrine. De sa main gauche, elle tient une pomme qui est le fruit défendu. Elle regarde le serpent lové sur le tronc de l’arbre à droite, où s’accrochent deux petits lézards. Au premier plan, figure un parterre de fleurs, ainsi que la présence de deux papillons et de deux libellules, comme dans les œuvres de 1897 et 1899 évoquées précédemment. Au second plan, l’eau est représentée. Elle est le symbole de la Mère Nature. A l’arrière-plan, apparaissent les branches de l’arbre qui retombent vers le sol.
La palette de notre pastel est relativement restreinte : le bleu avec toutes ses nuances, sa complémentaire l’orangé, le vert, le blanc, le gris et le noir.
Le critique d’art Léon Thévenin (1871-1964) expliqua ce choix du thème d’Ève dans son ouvrage La Renaissance païenne paru en 1898 : « l’exilée de l’Eden est un symbole du monde païen, du règne de la nature et des sens ».
Grâce à une comparaison technique et stylistique avec les autres versions connues à ce jour, et au vu de la signature, nous pensons que notre pastel a probablement été exécuté circa 1897-1899. Il est donc à classer dans les œuvres de la période symboliste de Lévy-Dhurmer et en est assurément l’une des plus importantes.


Estimation :
60 000 € / 80 000 €


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