La première femme selon Lévy-Dhurmer - La Gazette Drouot

Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953)
Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953)
Ève et le Serpent, vers 1897-1899

Artiste aux talents multiples, Lucien Lévy-Dhurmer fut céramiste avant d’être peintre et, surtout, pastelliste. C’est sans doute pour cette raison que l’on trouve un effet porcelainé à ce pastel en camaïeu de bleu, au sujet tout biblique. L’homme excellait particulièrement dans ce médium, son art reposant sur une grande maîtrise du dessin et sur la pureté de la ligne, l’atmosphère énigmatique de ses compositions tirant profit d’un savant jeu sur le velouté et la matité du pastel. Conservée jusqu’à présent dans une collection particulière française, cette composition possède un charme envoûtant et résolument mystique, teinté d’une esthétique fin-de-siècle. Il existe huit autres oeuvres de Dhurmer ayant pour thème Ève et le serpent, celle-ci étant la neuvième connue. La plus fameuse, à la gouache et au pastel avec rehauts d’or sur papier marouflé sur toile, montre la jeune femme de profil en plan très rapproché, en buste et les mains croisées sur la poitrine, regardant le serpent dont seule la tête est visible ainsi qu’une partie du corps sinueux passant derrière l’abondante chevelure rousse. À l’arrière, l’arbre de la connaissance du bien et du mal, au feuillage profus, paraît tel un rideau. Ayant appartenu à une certaine «Mme Th. Singer» d’après les notes de l’artiste, elle fit également partie de la collection de l’antiquaire et collectionneur Michel Périnet (1930-2020 – voir Gazette 2020 n° 4, page 12). Elle est réputée être l’oeuvre qui apporta le succès à l’artiste, à l’occasion de son exposition à la galerie Georges Petit au début de l’année 1896.


Levy Dhurmer Eve et le serpent

Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953) - Ève et le Serpent, vers 1897-1899

Pastel sur papier marouflé sur carton, signé, 97,5 x 43,5 cm (détail).

Estimation : 60000/80000€


Moment fatidique

En 1902, l’État passe même commande à Dhurmer, pour 6000F (près de 27000 € en valeur actualisée), d’un carton de tapisserie sur le thème d’Ève tentée par le serpent. L’immense toile (318 x 410 cm), intitulée Première floraison, se trouve aujourd’hui dans les collections du CNAP, mais la tapisserie ne fut jamais réalisée. La figure d’Ève a ainsi occupé l’artiste pendant de nombreuses années. Ce pastel, l’une des plus anciennes versions existantes – qui sera inclus au catalogue raisonné de l’oeuvre de l’artiste, en préparation par Marc-Henri Tellier – montre comment Dhurmer a envisagé l’image de la première femme biblique. Il la représente ici dans une nudité dépourvue de toute ambigüité, son ample chevelure brune dissimulant sa poitrine, au moment fatidique où, encore innocente, elle se laisse séduire par le serpent – le fruit fatal est déjà dans sa main gauche – la conduisant à sa chute et à celle d’Adam. En un cadrage assez serré, et cintré dans sa partie supérieure, il la place au centre de la composition, dans un paysage idyllique peuplé de quelques papillons et libellules à ses pieds, deux lézards grimpant sur le tronc où est enroulé le serpent. Derrière elle, un lac paisible bordé de hauts arbres crée une atmosphère de mystère, que renforce la palette bleue de l’oeuvre, y apportant une teinte crépusculaire et comme annonciatrice du drame qui se joue. On songe ici aux maîtres de la Renaissance, mais il y a également une dimension préraphaélite dans ce pastel, le rapprochant de l’art d’Edward Burne-Jones. L’exposition du peintre à Paris en 1878 a eu un fort impact sur la scène artistique parisienne, à laquelle Dhurmer n’a pas échappé.

LA GAZETTE DROUOT N° 46 DU 20 DÉCEMBRE 2024 p.37 PAR CHRISTOPHE PROVOT

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