"Jilali Gharbaoui, en quête de lumières" - Gazette Drouot

Jilali Gharbaoui
Jilali Gharbaoui
"Djilis, 1961"

Il est l'un des pères de la peinture marocaine contemporaine, inventeur d'une expression abstraite très rythmée. Elle anime ce tableau, bientôt proposé à Cannes (Jeudi 15 Août 2019), où se lit toute la complexité d'une âme meurtrie. Retour sur un parcours.

Entailles noires sur fond bleu, des tracés nerveux balafrent la surface de la toile, brossant une composition au rythme musical. Djilis, une œuvre peinte par Jilali Gharbaoui en 1961, exprime toute la personnalité tourmentée d’un artiste que l’on peut considérer comme le premier peintre marocain non figuratif. C’est en 1952, une bourse en poche, qu’il arrive aux Beaux-Arts de Paris, où il découvre les dernières recherches de ses contemporains occidentaux ayant choisi la voie de l’abstraction lyrique. Trois ans plus tard, de retour au Maroc, où est pratiqué depuis des siècles un art très codifié, il ressent la nécessité de sortir des traditions géométriques. Son ambition ? «Faire une peinture vivante : donner un mouvement à la toile, un sens rythmique et le plus important, en ce qui me concerne, trouver la lumière», comme il le confiera plus tard à un journaliste de Souffles, la revue culturelle d’avant-garde de Rabat. Dès lors, Gharbaoui développe une expression abstraite très gestuelle, mais qui lui attire un rejet de la part du public de son pays. Par chance, en Europe, où il revient régulièrement, on commence à remarquer son travail. En 1957, l’un de ses compatriotes fortuné lui organise une exposition itinérante à travers les États-Unis ; à cette occasion, le musée d’Art moderne de San Francisco lui décerne un premier prix. Dans les années qui suivent, son œuvre voyage dans le monde entier, et d’autres accrochages le font connaître au Mexique, en Allemagne ou encore au Japon.

DES RENCONTRES CAPITALES

L’abstraction, chez Jilali Gharbaoui, n’est en aucune manière une posture, assez fréquemment adoptée à l’époque. Il s’agit véritablement d’un élan vital, voire d’une thérapie en résonance avec sa terrible histoire personnelle. Il faut remonter à l’enfance pour trouver l’origine de la violence de son expression : l’artiste, abandonné à l’âge de 2 ans, l’a passée dans un orphelinat. Puis c’est la rue, où le peintre Marcel Vicaire le remarque, et plus tard les cours du soir de l’académie des arts de Fès. En grandissant, il va développer des crises d’angoisse ; il sera à plusieurs reprises interné en hôpital psychiatrique, tentera par deux fois de se suicider. Mais dans son parcours chaotique, Gharbaoui croisera deux personnalités hors du commun qui l’aideront à accoucher de son art : le poète Henri Michaux, rencontré à Paris au début des années 1950, à la démarche artistique identique et aux mêmes addictions ; et surtout le critique Pierre Restany, sensible aux signes tracés fiévreusement par le Marocain, à leur parenté avec la calligraphie. Grâce à l’intervention du théoricien du nouveau réalisme, il participera en 1959 au salon Comparaisons. Malgré le soutien de ses amis et la reconnaissance d’un public tout acquis, l’artiste, toujours en proie à ses tourments, finira ses jours à Paris dans la plus grande solitude. Sa peinture à fleur de peau demeure, témoignage de sa recherche permanente. "La quête de la lumière est pour moi capitale. Elle ne trompe jamais. Elle nous lave les yeux".

Les documents :

Tableaux73XX° siècle69
Partagez sur vos réseaux :

Menu rapide